2013 : Philippe Abry

ABRY

Philippe Abry a été le dixième Lauréat de la Bourse de Traduction Nathan Katz. La Bourse de Traduction lui a remise en mars 2014 dans le cadre des Rencontres Européennes de Littérature à Strasbourg. Sa traduction de Der Aufbruch a été publiée en édition bilingue aux Éditions Arfuyen, partenaires du Prix :

Ernst STADLERLe Départ (Der Aufbruch). Traduit de l’allemand par Philippe Abry et présenté par Charles Fichter. Bilingue allemand-français. Collection Neige n° 29. 232 pages. ISBN 978-2-845-90198-8

Philippe Abry est né le 9 mai 1980 à Colmar, il est titulaire d’un DEA d’Études germaniques de l’Université Marc Bloch de Strasbourg (2003) et d’un DESS de Traduction littéraire (ITI-RI, Strasbourg, 2006). Il a suivi en 2006 le programme franco-allemand Georges-Arthur Goldschmidt pour jeunes traducteurs de l’OFAJ/BIEF (Paris, LCB Berlin, CITL Arles).

Il a notamment traduit de l’allemand : Caroline Emke, Verwandlung als Form des Überlebens (traduction parue in : Sasha Waltz, Cluster, Henschel, Berlin, 2007) ; Imre von der Heydt, Une cigarette ?, traduction de Rauchen Sie ? Verteidigung einer Leidenschaft, (Éditions Actes Sud, Arles, avril 2007) et Daniel Ender, Aspekte der Musik von Beat Furrer (traduction parue in : L’inouï, IRCAM/ éditions Léo Scheer, Paris, 2006).

Il est traducteur de l’allemand et de l’anglais pour la chaîne Arte (adaptation de documentaires et reportages destinés à Arte Journal, Arte Reportage, Arte Découverte). Il traduit également pour la presse (grands reportages, géopolitique, théâtre, musique, questions de société, art de vivre…).

Il a reçu la Bourse de traduction du Prix Nathan Katz du patrimoine 2013 pour sa traduction de Der Aufbruch (Le Départ) de Ernst Stadler.

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DISCOURS DE RÉCEPTION DE LA BOURSE DE TRADUCTION NATHAN KATZ PRONONCÉ PAR PHILIPPE ABRY LE 22 MARS 2014 EN L’HÔTEL DE VILLE DE STRASBOURG

Ernst Stadler avait intitulé son recueil majeur Der Aufbruch, Le Départ. Un départ appelle un parcours, une trajectoire, et une destination. Et pour l’homme Ernst Stadler, la destination finale allait intervenir de manière ô combien prématurée lors de la première bataille des Flandres, en ce funeste 30 octobre 1914 près d’Ypres, en Belgique. Mais la destination de son œuvre, elle, est loin d’être définitive.

Près d’un siècle après la mort du poète, Strasbourg et l’Europe fêtent son œuvre. Une œuvre et une vie emblématique des déchirements, des soubresauts mais aussi du dialogue qu’incarnent notre ville, notre région et notre Europe. Car si Stadler, malgré son parcours éphémère est un représentant majeur de l’expressionnisme, c’est aussi un incroyable passeur, un médiateur entre les cultures et les époques. Lecteur et traducteur de Charles Péguy et Francis James, exégète du Parsifal de Wolfram von Eschenbach, auteur d’une étude des traductions de Shakespeare par Wieland… avec Stadler, c’est toute une Europe de l’esprit qui est conviée, par-delà les frontières.

Traduire Stadler a été pour moi un véritable voyage, une odyssée qui m’a fait appareiller vers une destination que j’ignorais. Vers l’œuvre, tout d’abord, que j’ai découverte au fur et à mesure que mon travail progressait. Vers un arrière pays aussi, lointain et familier, que j’étais loin de soupçonner lorsque j’ai embarqué pour cette traversée. Permettez donc, Mesdames et Messieurs, que le traducteur que je suis se livre un tant soit peu.

En se tenant strictement à la puissance d’évocation des dates, j’ai un jour constaté que Stadler aurait pu être mon arrière-grand-père. L’univers de Stadler, le monde qui était le sien, cette civilisation qui allait se découvrir mortelle comme le disait Paul Valéry, ce monde est celui dont je viens. Mes origines mêlent une lointaine Savoie, l’Alsace d’après la Réforme, la Lorraine et la Hesse. Mon arrière grand-père maternel, né à Kassel est mort sur le Front de l’Ouest, mon grand-père ne l’a pas connu. Mon arrière grand-père paternel, un Strasbourgeois, est mort après l’armistice, épuisé par les privations. C’est à peine si ma grand-mère l’a connu.

Traduire Der Aufbruch a été pour moi un départ vers l’œuvre d’un poète. Mais ce mouvement a été double. Par la force du vers, ce départ a aussi marqué un retour, dont j’ai pris petit à petit conscience. « Je rebrousse chemin vers la maison natale », écrit Yves Bonnefoy dans les Planches courbes. Le corps à corps livré avec l’œuvre de Stadler a été un retour vers les origines d’une lignée, mais aussi vers des lieux. Car Der Aufbruch dessine une cartographie. Le Mont Sainte-Odile d’Herrade de Landsberg, la Forêt-Noire de Simplicius, la statuaire de la cathédrale de Strasbourg, le vignoble – qu’il soit à l’est ou à l’ouest du Rhin, autant de lieux vécus, imaginés, transformés, revisités par le poète et qui résonnent comme un écrin familier :

Ici est le recueillement. Ici est la paix, l’écoute des jours et des nuits qui
se lèvent et disparaissent

J’aimerais à présent remercier Jean-Paul Gunsett. Une voix et une plume à qui je dois la découverte de Stadler et sans qui je ne me serais jamais lancé dans cette aventure. Je tiens également à remercier le jury du prix Nathan Katz et Gérard Pfister pour l’honneur qu’ils m’ont fait en me confiant la traduction d’Ernst Stadler.

Je souhaiterais encore partager avec vous une pensée. Elle s’adresse à mon grand-père, Charles Abry, né en en 1914 et qui nous a quitté en 2002. C’est lui qui m’a transmis l’amour du verbe et de belles lettres.

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INTERVENTION DE PHILIPPE ABRY AU COURS DE L’HOMMAGE À ERNST STADLER AU MUNSTERHOF LE 19 MARS 2014

La découverte d’Ernst Stadler a été pour moi le fruit d’un concours de circonstance. J’avais entendu parler de cet auteur durant mes études. Grâce notamment à l’engagement d’Adrien Finck dont nous avons entendu Sur le tombeau d’Ernst Stadler en ouverture de cet hommage. Et bien sûr grâce à l’enseignement de Maryse Staiber dont j’ai été l’élève. Néanmoins, mis à part un ou deux textes évoqués lors de séminaires de littérature ou parcourus au gré de quelque anthologie, Stadler m’a longtemps été bien lointain, très éloigné de ce vers quoi mes penchants littéraires m’orientaient de prime abord.

Et puis un jour, Jean-Paul Gunsett m’a fait savoir que le Jury du Prix Nathan Katz du Patrimoine prévoyait d’honorer Ernst Stadler à l’occasion du centenaire de sa disparition. Nous étions alors en 2011 et l’horizon du printemps 2014 appartenait à l’avenir. Gérard Pfister m’a ensuite contacté et proposé de lui soumettre la traduction d’un poème de Stadler. C’est ainsi que je me suis lancé dans la traduction de « La traversée nocturne du pont du Rhin à Cologne ». Les choses sont allées très vite, mon adaptation de « La traversée » a trouvé grâce aux yeux du jury et voilà que m’incombait la tâche de traduire Der Aufbruch.

Der Aufbruch – Le Départ… Rarement titre aura pu être aussi prémonitoire. Car en me lançant dans cette aventure, j’ai littéralement appareillé pour des rivages insoupçonnés. J’avais choisi d’aborder le recueil par la traduction que j’allais en livrer. Je ne l’ai donc pas lu au préalable. Je l’ai découvert au fur et à mesure que mon travail de traduction progressait. Cette démarche relevait pour moi d’un choix proprement éthique. « Le texte, le texte, rien que le texte », comme disait Gérard Genette. Cette approche permet de s’approprier une œuvre, de l’intérioriser dans un acte ou le geste se mêle à la réflexion. Mais ce parcours n’a pas été sans heurts. L’œuvre de Stadler n’est pas de ces œuvres immédiates et flatteuses. Les résistances, les aspérités sont nombreuses.

Il faut à un moment accepter que cette œuvre s’offre à vous pour pouvoir l’appréhender et tente de la restituer. Mais comme le disait le Poète, « Form ist Wollust »… La forme, c’est la volupté. Et lorsque l’on accepte cette forme, cette forme qui tantôt vous prend à la gorge et menace de vous étouffer, et tantôt vous ménage des échappées aériennes, il y a indéniablement une volupté à mener un corps à corps avec le texte pour en livrer une adaptation qui fasse sens et restitue le mouvement qui l’anime. Oui, le traducteur en prise avec le texte, les mains dans la farine, éprouve cette volupté de plier, tordre la matière verbale pour qu’advienne le passage dont il est investi.

Dans cette traversée qu’a représenté pour moi la traduction de Der Aufbruch, j’ai navigué vers un arrière-pays que j’étais à mille lieues d’imaginer. Mélange d’étrangeté et de familiarité. Car si la langue de Stadler a de quoi dérouter par moments, son univers n’en reste pas moins étrangement familier. Ernst Stadler était en effet contemporain de mes grands-parents, que je n’ai d’ailleurs pas connus. A travers lui, j’ai plongé sans m’en rendre compte dans ce monde d’hier dont je suis issu. Un départ et un retour aux origines à la fois. Aufbruch – Heimkehr, Départ – Retour… comment ne pas penser à notre grand René Schickele… L’expérience ne vous laisse pas indemne, et l’émotion est souvent à deux doigts de vous submerger. « Je rebrousse chemin vers la maison natale », écrivait Yves Bonnefoy.

Et parlant d’émotion, il m’est impossible de ne pas vous confier l’immense surprise que je viens de vivre en entendant les poèmes d’Ernst Stadler, ces poèmes que j’ai traduits, aussi formidablement mis en voix par Martin Adamiec. C’est un cadeau précieux, un cadeau rare qu’il m’a été donné de savourer. Merci, Martin, merci pour cette incarnation du Départ. Le traducteur qui œuvre dans l’ombre n’a pas souvent la chance d’entendre sa production aussi magistralement honorée.

Je tiens également à remercier Charles Fichter. Comme je viens de vous l’avouer, j’avais choisi de découvrir Stadler par son œuvre, en le traduisant. Grâce à Charles, j’ai pu découvrir l’homme Stadler, ses engagements, son parcours personnel, son époque. Merci Charles pour ce lumineux éclairage, pour ce patient travail, exhaustif et lumineux à la fois.

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