Roger Siffer et Susanne Mayer ont été les douzièmes Lauréats de la Bourse de Traduction Nathan Katz. La Bourse de Traduction leur a remise en avril 2016 en l’auditorium de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg. Leur traduction a été publiée aux Éditions Arfuyen, partenaires du Prix :
Georges-Daniel ARNOLD, Le Lundi de pentecôte (Der Pfingstmontag), théâtre, traduit de l’allemand et présenté par Roger Siffer et Susanne Mayer. Préface de Dominique Huck. Collection Neige n° 33, 248 pages. ISBN 978-2-845-90229-9
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Roger Siffer est né en 1948 à Villé (Bas-Rhin). Après des études de philosophie, il fait ses débuts en chantant en dialecte alsacien. Il collecte des chansons traditionnelles et se fait accompagner sur scène par des instruments anciens. Redoutant de devenir « un musée ambulant » du folklore, il s’oriente vers la chanson engagée. Mais il aime trop l’humour et la satire pour ne pas sentir que la militance risque à son tour de l’enfermer dans un rôle de « missionnaire en chaussettes blanches ».
Collaborant durant deux années avec Germain Muller au Barabli, il trouve dans le cabaret un espace privilégié pour sa liberté d’esprit et son humeur sarcastique. Avec une bande d’amis, il crée en 1984 le Théâtre de La Choucrouterie dont les deux salles accueillent chaque année pus de 20000 spectateurs. Roger Siffer s’est engagé en 2013 pour la reconnaissance du cabaret alsacien par l’Unesco comme Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité, à l’instar du fest noz breton.
Outre les disques, il a publié plusieurs livres, parmi lesquels on citera Morceaux choisis (Nuée Bleue, 1998) et Quand la choucroute rit… toute l’Alsace applaudit ! (La Nuée Bleue, 2003).
D’origine allemande, Susanne Mayer, sa compagne et sa complice dans l’aventure de la Choucrouterie, est devenue son épouse en mai 2015.
Ils ont reçu la Bourse de traduction du Prix Nathan Katz du patrimoine 2016 pour leur traduction du Lundi de Pentecôte de Georges-Daniel Arnold.
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GOETHE A ÉCRIT UN ENTHOUSIASTE ÉLOGE DU PFINGSTMONTAG DE G.-D. ARNOLD : DES EXTRAITS TRADUITS ET LUS PAR R. SIFFER ET S. MAYER
« Dans chaque parler populaire, dit Arnold, s’exprime une vie intérieure spécifique qui présente dans ses nuances une caractéristique nationale particulière. »
Même si l’on ne peut nullement nier le bénéfice que nous ont apporté bien des glossaires dialectaux, force est d’admettre que les nuances infiniment variées mises en œuvre dans une langue vive et vivante, à peine palpables, ne sauraient prendre la forme d’un lexique alphabétique, parce que nous n’apprenons pas qui utilise telle ou telle expression et à quelle occasion. C’est pourquoi nous tombons dans ces dictionnaires sur l’une ou l’autre note utile, précisant par exemple que l’un ou l’autre terme n’est employé que par le commun du peuple ou par les milieux les plus vulgaires, ou même seulement par les enfants et les nourrices.
Un artiste comme Arnold qui a été, dès sa jeunesse, familier des milieux populaires de Strasbourg a nettement et profondément senti l’insuffisance d’un tel traitement et nous a offert une œuvre qui aurait du mal à trouver son équivalent pour la clarté et l’exhaustivité du regard et pour la description pleine d’esprit de particularités innombrables.
L’auteur nous présente douze personnages de Strasbourg et trois de ses environs. Leur condition, leur âge, leur caractère, leur sentiment, leur façon de penser et de s’exprimer sont tout à fait contrastés, tout en se rejoignant progressivement. Ils agissent et s’expriment devant nous le plus souvent avec une grande vivacité dramatique, mais, du fait qu’ils doivent développer les situations jusqu’à leur terme, l’action tend vers l’épique et, afin que tous les genres nous soient présentés, l’auteur sait amener aussi le plus charmant final lyrique. L’action se situe en 1789, alors que la vieille bourgeoisie de Strasbourg se maintient encore bec et ongles contre les influences novatrices. L’œuvre redouble ainsi d’importance à nos yeux, car elle perpétue la mémoire d’un mode de vie qui devait être plus tard sinon détruit, du moins violemment remis en cause.
Nous présentons ci-dessous brièvement les personnages. Starkhans, constructeur de bateaux et grand conseiller : bourgeois méritant, père de famille équitable, plein d’affection pour sa fille unique. Un fils plus jeune, Danielchen, n’apparaît pas et joue un rôle par son absence.
Lissel, sa fille : pure enfant de la bourgeoisie, obéissante, charitable, aimant avec innocence et se réjouissant de son amour avec étonnement.
Mehlbrüej, fabricant de pompes à incendie et petit conseiller : s’exprimant par proverbes, s’estimant grand ingénieur, croyant aux recettes des guérisseurs et, non moins, à la physiognomonie, et autres.
Rosine, son épouse : femme compréhensive et calme, souhaitant pour son fils un mariage avantageux, riche si possible. Celui-ci s’appelle Wolfgang, magistrat et prédicateur du soir : maîtrisant la langue et la culture allemandes, d’esprit simple, raisonnable et compréhensif, de conversation facile et honorable.
Le Licencié Mehlbrüh, vieux garçon, caricature d’un vieux Strasbourgeois de classe moyenne, petit-maître à moitié francisé. Reinhold, docteur en médecine, natif de Brême, de culture et langue allemandes accomplies, passablement enthousiaste, d’expression semi-poétique.
Nous ne nous priverons pas de louer la connaissance des hommes de cet auteur, qui ne donne pas seulement des aperçus du quotidien banal, mais sait aussi discerner et représenter le côté noble et sublime de ces purs hommes de la nature. Les remarques de Lissel sur l’amour moral et sensuel sont remarquablement dessinées ; l’entrée de Klärel dans la famille de son fiancé, les pensées de mort du père au milieu de son bonheur, tout cela est tellement profond et pur qu’on peut difficilement l’imaginer. La réplique de Lissel : « Ça m’est égal, j’irai avec lui » est à sa manière, dans son sublime laconisme, à mettre absolument au même niveau que le fameux « Qu’il mourût ! » de Corneille. Qu’on nous pardonne le préjugé et la prédilection que nous avons pour cette œuvre, et un plaisir qui est influencé peut-être par le souvenir.
Le connaisseur averti pourra aisément mesurer que cette pièce doit être considérée comme le travail de toute une vie. Les impressions d’enfance, les joies et les peines de la jeunesse, la réflexion forcée et, enfin, la vue d’ensemble mûre et sereine sur une condition que nous aimons alors que, dans le même temps, elle nous oppresse : tout cela était nécessaire pour réaliser une telle œuvre.
Combien la réalisation et l’achèvement en sont médités, fidèles et méticuleux, celui qui s’est exercé dans cet art est le mieux à même d’en témoigner. Et nous affirmons ainsi résolument que dans toute cette pièce il n’y a pas un seul mot vide de sens, dû au hasard ou à une commodité d’écriture.
Par tout ce que nous venons d’exposer, nous pensons d’abord avoir garanti à cette œuvre la place prestigieuse d’idiotikon vivant au sein des bibliothèques des connaisseurs de la langue allemande.