2005 : les frères Matthis (1874-1930/1944)

MATTHIS

Pour sa deuxième année, le Jury du Prix Nathan Katz du patrimoine a choisi de distinguer l’œuvre des FRÈRES MATTHIS et demandé à Gaston Jung de donner des traductions de quelques-uns de leurs plus beaux textes. Ces traductions ont été publiées en édition bilingue aux Éditions Arfuyen, partenaires du Prix :

Albert et Adolphe MATTHIS, Bois d’oignon (Ziwwelbaamholz), poèmes, traduit de l’alsacien par Gaston Jung. Préface de Dominique Huck. Postface de Maxime Alexandre. Bilingue alsacien -français. Collection Neige n° 13. ISBN 978-2-845-90085-1

« En juillet 1919, j’ai fait un séjour prolongé à Uttwil, où Schickele avait acheté une maison. Pendant de longues heures, il me raconta des souvenirs de sa jeunesse alsacienne, souvenirs entre autres des frères Matthis … Il me décrivit ces deux célibataires timides et réservés, prudes à la fois et caustiques qui, derrière ces apparences, cachaient leur jeu, c’est-à-dire leurs qualités de poètes … Ils étaient les premiers, d’après lui, à élever le dialecte alsacien à la hauteur du chant d’Orphée. »

Les jumeaux Albert et Adolphe Matthis sont nés le 27 décembre 1874 au Val-de-Villé. En 1875 la famille s’installe à Strasbourg, au 49, rue du Faubourg-National. En 1882, premier déménagement pour le 49, Grand-Rue, puis en 1890 pour le 66 de la même artère. En 1892, nouveau déménagement pour le 8, quai des Bateliers. Les frères Matthis y resteront treize ans, écoutant chaque soir de leur fenêtre ouverte cette « cloche de dix heures » (d’Zehnerglock) à laquelle ils consacreront un de leurs poèmes fameux.

Cette époque est pour eux d’une particulière fécondité. Albert écrit l’ascension de la flèche de la cathédrale (Hitt grattle mer bi Wind un Sturm uff d’Schnecke nuff vum Müenschterdhurm) tandis qu’Adolphe consacre un magnifique poème au Mont Sainte-Odile (Uff Sant-Uedilli). Poussés par leurs amis, les frères Matthis se décident à publier des recueils de leurs œuvres, mais toujours par souscription à prix coûtant et à tirage très limité.

« Il y a chez les frères Matthis, souligne Alfred Schlagdenhauffen, un curieux mélange de simplicité et de fierté. Ils n’ont jamais recherché les honneurs. La gloire est venue d’elle-même, un jour. Elle est venue de la sincérité de leur effort poétique, et cet effort a été pour eux un besoin. La poésie fut le côté lumineux de leur existence modeste. »

En 1905 les deux frères déménagent à nouveau pour le 13, rue Finkwiller où ils resteront pendant près de vingt ans. La silhouette des deux frères, se promenant d’un pas nonchalant au long des quais de l’Ill est restée légendaire : « Vieux garçons, écrit encore A. Schlagdenhauffen, quelque peu originaux dans leur comportement, vêtus tous deux de même façon, l’œil brillant ou rêveur sous leurs grands feutres noirs à larges bords ; d’un abord craintif et facilement effarouché comme pour s’abriter contre la raillerie toujours aisée. Ajoutons qu’ils étaient affables, délicat et d’une politesse exquise. »

Lorsque éclate la guerre, Albert est envoyé sur le front russe et Adolphe placé en résidence forcée dans le Hanovre. En 1923, nouveau déménagement pour le 6, cour Saint-Nicolas. Le 17 juin 1930 Albert Matthis meurt au terme d’une longue maladie. À son frère il fait cette seule recommandation : « Adolphe, ne dérange pas les amis. Tu m’accompagneras seul au cimetière de Saint-Gall où je t’attendrai. »

Adolphe loue une pièce au 6, quai Saint-Thomas, qu’il meuble à l’exact identique de leur ancienne chambre. Il demeure à Strasbourg durant toute la période d’occupation.

Il ne verra malheureusement pas la libération de sa ville. Il meurt le 25 mars 1944 et est enterré auprès de son frère jumeau au cimetière de Saint-Gall.

BIBLIOGRAPHIE

L’œuvre poétique des frères Matthis n’avait, jusqu’à l’initiative du Prix Nathan Katz du Patrimoine, fait l’objet d’aucune traduction française en volume. Elle est pourtant considérable :

Ziwwelbaamholz (Bois d’oignon), 1901.
Maiatzle (Hannetons), 1903, couverture de Georges Ritleng et Emile Schneider.
Widesaft (Sève de saules), 1911, couverture de Maurice Achener.
Bissali (Pissenlit), 1923, illustré par Philippe Kamm.
D’r klaan Bissali (le Petit pissenlit), 1925.
E busche Bluescht (Un bouquet de branches fleuries), 1925.
Aephai (Feuilles de lierre), 1931.
Fülefüte (Colchiques d’automne), 1937.

Une bonne introduction générale à l’œuvre et à la personnalité des frères Matthis est donnée par le numéro que leur a consacré la revue Saisons d’Alsace en 1974 : Albert et Adolphe Matthis, créateurs du lyrisme alsacien, Saisons d’Alsace, n° 53, décembre 1974.

Ce numéro a été réalisé sous la direction d’Alfred Schlagdenhauffen et Raymond Matzen, avec la collaboration de Robert Lutz, Robert Fuchs, Martin Allheilig, René Metz, Jean Braun, Lucienne Lapointe, Gabriel Andrès, Maxime Alexandre et Louis Edouard Schaeffer.

*

UN POÈME D’ALBERT MATTHIS TRADUIT DE L’ALSACIEN PAR GASTON JUNG

 

D’r Winter

D’r Spatz bloost ’s Drummbonn uff de Daecher
D’r Wind hilt grad wie wenn d’ne pfetsch,
D’r Lohkaesgüscht packt’s zwei Doen schwaecher,
Un d’Schneegans hücht in d’Schnuffelraetsch ;
Un ’s Feld un d’Matte leijt in Gichter,
Am Dirlipshüffe naaue d’Mïs,
Un d’Baam un d’Hecke mache Gsichter,
Wie ’s Eva as im Barredïs,
Un d’Kaelte kummt mit Kumblimende,
Un d’Naacht wurd lang un kurz sin d’Däij,
D’r Gückelhahn walzt zammt de Ente,
Mit Rümadisse nuff uff d’Stäij ;
D’r Katzeroller schaelt uff d’Waade,
Denn ’s Kraejnau bisst am grosse Zeh,
Un uff d’r Gass gigst schwer gelaade
D’r Kohlewaaue schun im Schnee ;
D’Meerschwinle grieje d’Ohre geschnitte,
Un ’s gfriert un d’Isschueh waere g’oelt,
Un d’Belzkapp, d’Baeredoobe, d’Schlitte,
Jetz üs de Ganferlaade gscheelt,
Un d’Buewe rutsche üewwer d’Lache,
Siesch kaane wo noch Mucke fangt,
D’r Winter hett fur d’farce ze mache
Im Spootjohr an ’s Gebiss gelangt.

*

L’hiver

Le moineau joue du trombone sur les toits,
Le vent pleure comme si tu le pinçais des dix doigts,
Le charbonnier Auguste tape deux notes trop bas,
Et l’oie des neiges souffle dans son harmonica ;
Et les prés et les champs préparent l’accouchement,
Au tas de betteraves grignotent les souris,
Les arbres ont tous des têtes d’enterrement,
Comme Ève jadis chassée du Paradis.
Le froid vient faire ses compliments, tout en
Raccourcissant les jours, les nuits s’allongeant d’autant,
Et le coq se bagarre même avec les canards pour monter,
Malgré qu’il soit rhumatisant, les marches d’escalier.
Le matou lorgne vers son mollet,
Car l’orteil souffre d’un cor au pied,
Et dans la ruelle enneigée,
Grince le chariot du charbonnier ;
Des cochons d’Inde on taille l’oreille,
Il gèle, on huile ses deux patins pareil,
Luges, moufles et bonnets fourrés,
Sont extraits des armoires camphrées,
Et les garçons glissent sur les flaques gelées,
Leurs bouches fermées sous leurs gros cache-nez,
Car l’automne pour rire l’hiver l’a assommé
D’un grand coup de poing dans le dentier.

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