Benjamin Subac-Noctuel a été le cinquième Lauréat de la Bourse de Traduction Nathan Katz. La Bourse de Traduction lui a remise en mars 2009 dans le cadre des 4es Rencontres Européennes de Littérature à Strasbourg. Sa traduction a été publiée aux Éditions Arfuyen, partenaires du Prix :
Gustave STOSKOPF, Quand j’étais gosse et autres petites histoires alsaciennes (Üs minere Kneckeszitt un anderi elsässischi G’schichtle), récits, traduit de l’alsacien par Benjamin Subac, dit Noctuel. Collection Les Cahiers d’Arfuyen n° 179. ISBN 978-2-845-90131-5
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Benjamin Subac, dit Noctuel, est né à Strasbourg en 1923. Il y est décédé en 2015.
Il a inauguré sa carrière de chroniqueur au Journal d’Alsace et de Lorraine, puis donne des portraits littéraires aux Dernières Nouvelles d’Alsace.
En 1947, il inaugure à Radio-Strasbourg, une carrière qui durera trente-trois ans au cours de laquelle il écrira ou réalisera plusieurs milliers d’émissions, essentiellement dans le domaine des variétés.
En 1964, il présente le journal télévisé régional et salue son public par la formule « Bonne et Heureuse soirée, Güeten Owe », audace qui lui vaut de disparaître du petit écran.
En 1948, Noctuel donne des sketches au Barabli, le Cabaret Alsacien de Germain Muller et Raymond Vogel. Il collabore à de nombreux journaux. Ses textes sont traduits en espagnol et en polonais, Il a reçu le Prix Maurice Bourdet (1953) et le Grand Prix Maurice Betz (1964).
Après avoir publié, en 1956, ses premières histoires d’objets et d’animaux dans la revue Constellation, Jean-Charles fait paraître ses premiers ouvrages : Visas pour l’humour (Denoël, 1962), La vie en chose (Calmann-Lévy, 1963) et le Dictionnaire français-rosse (Calmann-Lévy, 1964). Sous l’égide d’Alex Grall paraîtra De l’os au cosmos (Planète, 1969).
Après un long silence, il publie grâce à Armand Peter à Sonnie, à Sonia (Éditions bf, 1989). « Noctuel revient en librairie, écrit Danièle Brison, et c’est une très bonne nouvelle parce que l’homme – qui ne le sait ? – est pétri de talent » (DNA, 2.01.1990).
Il a reçu la Bourse de traduction du Prix Nathan Katz du patrimoine 2008 pour sa traduction de Quand j’étais un gamin et autres petites histoires de Gustave Stoskopf.
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DISCOURS DE RÉCEPTION DE LA BOURSE DE TRADUCTION NATHAN KATZ DU PATRIMOINE PRONONCÉ PAR NOCTUEL LE 14 MARS 2009 À STRASBOURG
Si le Moïse de Michel-Ange porte des cornes, il doit ces attributs inattendus à un traducteur, et pas n’importe lequel ! Il s’agit en effet de Jérôme, rédacteur de la Bible en latin, la Vulgate, où Moïse rayonnant se retrouva Moïse cornu. Et pourtant cette bourde, monumentale avant la statue, n’empêcha pas son auteur de devenir saint Jérôme.
Mais s’agissait-il vraiment d’une bourde ? Qu’on se reporte au texte original, le Livre de l’Exode, chapitre 32, verset 29, où il est dit : « Lorsque Moïse redescendit de la montagne du Sinaï en portant les deux tables du Témoignage, il ne savait pas que son visage rayonnait. »
Le terme hébreu quaran, dérivé de queren (corne) signifie en effet, au sens propre cornu, alors que son sens figuré est rayonner. Ce dont témoigna Marc Chagall qui, lui, a fait partir du front de Moïse des rayons de lumière. À noter, en passant, que pour tout simplifier, queren s’emploie encore, avec une connotation financière, pour désigner un fonds, tel que le Fonds Monétaire International…
Comme quoi traduire un mot qui n’a qu’un seul sens n’est rien : il ne s’agit que d’une simple question de vocabulaire, tandis que transcrire un terme susceptible de plusieurs acceptions pose un problème de choix. Ce n’est pas pour rien que la transposition dans sa langue d’un texte d‘une autre langue s’appelle une version. À propos si tout le monde connait les forts en thème personne ne parle jamais de forts en version. N’y en aurait-il donc pas ?
J’en viens à une petite phrase, plus actuelle, que vous avez peut-être rencontrée ça ou là : « Yes we can ! » Oui, nous pouvons l’interpréter comme on le fait. Pourtant, il serait tout aussi correct de la traduire par « Oui, nous faisons des conserves », voire, avec un brin de perfidie, par « Oui, nous mettons en boîte », le verbe to can signifiant bien cela.
Comme quoi les mots disent beaucoup de choses et on peut leur en faire dire plus encore. Ainsi le doyen Robert Redslob évoquait-il un guide strasbourgeois de touristes qui, devant le monument de Kléber, traduisait l’inscription de la plaque « Mort au Caire » par « Er isch im Kriej gfalle » (Il est tombé pendant la guerre). Il parlait aussi (le doyen, pas le guide) d’un brave sapeur-pompier expliquant que, sur son casque, les lettres « SP » étaient les initiales de « sa prûle ».
Dans le même registre, on pourrait évoquer cette assemblée internationale, où, en quête d’un interprète, le président ayant demandé s’il y avait dans la salle quelqu’un parlant parfaitement le français, un des assistants leva la main en déclarant : « Je ! »
Enfin, je me souviens avoir lu jadis une édition française d’un roman de Tolstoï où, pour parler d’une étable, on disait « la vacherie ». Ce qui n’était pas faux encore qu’un tantinet rétro.
Mais, trêve de fariboles ! j’en viens à mon propos. Traduire est avant tout une question de choix. Tenez, dans le chapitre Un bon plaidoyer, Stoskopf dit d’un personnage : « Er isch ankumme wie e Mohr in e Juddehüs ». Le sens est clair : il fut reçu comme un chien dans un jeu de quilles. Oui, mais comment rendre sa façon de le dire ? Tout naturellement, au vu de la phrase, on est tenté par « il fut reçu comme un Maure dans une maison juive », ce qui ne voudrait rien dire puisque, là où on trouvait les deux communautés, par exemple l’Espagne, il n’y avait pas eu d’animosité, que l’on sache, entre les descendants de Mahomet et ceux d’Abraham.
Alors ? Il fallait opter pour un autre sens de Mohr… à condition de le connaître. Mais, j’ai eu la chance de bénéficier d’un consultant hors de pair en la personne de Jean-Paul Gunsett, qui lui-même, le cas échéant, avait recours aux lumières du brillant germaniste Raymond Matzen. Et tout s’éclaira : en effet, dans les campagnes d’Alsace, Mohr désignait, et, ça et là, désigne encore, la femelle du cochon, autrement dit la truie.
Qu’il ne faille pas juger les mots sur leur mine j’en ai aussi un exemple ici même, dans la librairie Kléber où nous sommes si aimablement reçus aujourd’hui. Il y a une soixantaine d’années, un de ses étages, déjà lieu culturel, était consacré à la danse, la danse de salon. Il s’appelait alors Le Rio et son nom rutilait, en grosses lettres de néon au-dessus de la place Kléber. Nous y avons dansé, ma muse et moi, avec un faible particulier pour La comparsita. Or, La comparsita, c’est quoi, en français ? Eh bien, si vous pensez, comme je l’ai longtemps fait, à « la petite comparse », vous avez tout faux ! En effet, je viens de le découvrir sur Internet, le nom de ce tango de rêve qui était d’ailleurs au départ, en 1916, une marche de carnaval, ce nom espagnol signifie « la petite fanfare »…
Comme quoi les mots sont malins et ne manquent jamais une occasion de se déguiser pour nous surprendre. Pourtant je ne leur en veux pas et j’ai même tenu à leur rendre hommage avec ce quatrain, modeste mais bien senti :
Je lis beaucoup les dictionnaires.
Quoique gros, ces livres sont fins.
On y passe sa vie entière
Sans trouver le mot de la fin.
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UNE PETITE ANTHOLOGIE DE L’HUMOUR DE NOCTUEL (extraits du Dictionnaire Français-Rosse, Calmann-Lévy, 1965)
Abaisser (s’) : Ce qu’on est parfois obligé de faire pour se mettre au niveau de ses supérieurs.
Absences : Ce par quoi se manifeste la mémoire chez ceux qui n’en ont pas.
Bafouiller : Parler en articulant après.
Beauté : Qualité dont l’absence, chez une femme, fait l’objet de nombreux soins.
Dilettante : Artiste qui n’a ni la patience de ne rien faire, ni le courage de travailler.
Égoïsme : Façon de songer aux autres en se mettant à leur place.
Être humain : Organisme qui a besoin d’effusions quand il est jeune et d’infusions quand il l’est moins.
Exégèse : Art d’enfoncer des parenthèses ouvertes.
Gloire : De quoi se faire oublier un jour par beaucoup plus de gens qu’on n’en a connus.
Histoire (l’) : Des histoires.
Honnêteté : Qualité inventée par les filous pour limiter la concurrence.
Humoriste : Original qui se plaît à prendre les bonnes choses du mauvais côté.
Jeunesse : Circonstance atténuante pour l’usage qu’on en fait.
Lauriers : Mi-fleurs, mi-couronnes.
Louis XIV : Personnage qui s’est tellement pris pour Sacha Guitry qu’il a fini dans sa peau.
Modestie : Art de s’applaudir avec les mains des autres.
Naissance : Péché de jeunesse dont la vie constitue la pénitence.
Optimisme : Art de se contenter de ce qu’on n’a pas.
Poète : Malheureux qui passe sa vie à rendre à grands cris son dernier soupir.
Respect : Respectons notre prochain, car il n’y songe pas toujours lui-même.
Scrupules : Remords tellement zélés qu’ils sont là avant l’heure.
Sourire : Manière gracieuse de montrer les dents.
Trépas: Fin du « moi » difficile.
Vie : Temps que met l’homme pour passer du lait à la bière.
Zéro : Nullité sans laquelle il n’y aurait pas de milliards.