2008 : Gustave Stoskopf (1869-1944)

STOSKOPF

Pour sa cinquième année, le Jury du Prix Nathan Katz du patrimoine a choisi de distinguer l’œuvre de GUSTAVE STOSKOPF et demandé à Noctuel de donner une traduction des récits d’enfance de l’écrivain de Brumath. Cette traduction a été été publiée aux Éditions Arfuyen, partenaires du Prix :

Gustave STOSKOPF, Quand j’étais gosse et autres petites histoires alsaciennes (Üs minere Kneckeszitt un anderi elsässischi G’schichtle), récits, traduit de l’alsacien par Benjamin Subac, dit Noctuel. Collection Les Cahiers d’Arfuyen n° 179.  ISBN 978-2-845-90131-5

À l’occasion du dixième anniversaire de sa mort, en 1954, une plaque commémorative a été inaugurée par Pierre Pflimlin sur la maison natale de Gustave Stoskopf, rue des Bains, à Brumath, avec l’inscription suivante :

« Dans cette maison naquit le 8 juillet 1869 Gustave Stoskopf, poète d’Alsace. Pieusement dévoué aux valeurs du terroir, il fut à l’origine de toutes les initiatives visant à les perpétuer et à les épanouir. Artiste, il fit revivre en sa peinture les traits des gens d’Alsace. Auteur dramatique, il dota la littérature dialectale de ses héros les plus populaires. Il fut, en des temps difficiles, le mainteneur de l’âme alsacienne. »

DRAMATURGE, PEINTRE ET CONTEUR

À l’égal d’un Hansi, l’œuvre de Gustave Stoskopf est l’un des beaux symboles de la culture alsacienne : fondateur du théâtre alsacien avec la célèbre pièce D’r Herr Maire, peintre raffiné et puissant des petites gens du terroir, initiateur de presque toutes les grandes institutions qui sont aujourd’hui à la base de la culture d’Alsace. Mais aussi merveilleux conteur – on l’a comparé à un Alphonse Daudet ou à Guy de Maupassant –, plein de tendresse à l’égard de tant de personnages de la vie quotidienne de sa petite Heimet.

Et l’un de ceux qui ont illustré avec le plus de créativité le dialecte bas-rhinois, en l’occurrence l’alsacien des campagnes proches de Strasbourg. En bien des cas, les personnages de ces récits sont les mêmes que ceux dont il a fait le portrait en tant que peintre ou évoquent des caractères de ses pièces de théâtre.

ARTISTE EN HERBE

Gustave Stoskopf est né à Brumath le 8 juillet 1869, d’une famille de tanneurs. La mère du futur peintre et écrivain veille sur l’éducation de ses enfants avec beaucoup de soins. Son second fils, Charles, très jeune atteint d’une grave maladie, mourra à 19 ans, deux ans après elle. Le jeune Gustave a laissé d’émouvants portraits de son grand-père, de sa mère et de son frère, que l’on peut voir aujourd’hui dans la maison familiale transformée en musée.

Frappés par la précocité du talent de leur fils, les parents du jeune Gustave consentent à montrer les travaux de leur fils au peintre Louis Schutzenberger qui les convainc de le laisser suivre sa vocation. Stoskopf fréquente l’Académie Julian, à Paris, avec Bonnard, Vuillard, Sérusier, puis l’Académie Royale de Munich.

D’R HERR MAIRE

Fin 1894, il revient à Strasbourg et, avec un groupe de jeunes artistes, prend ses habitudes à la Mehlkischt, un débit de vin de la rue des Bouchers vite transformé en cabaret. À Saint-Léonard, chez Spindler et Laugel, ils décident de créer le Théâtre Alsacien. Le 27 novembre 1898, a lieu la première représentation de D’r Herr Maire (Monsieur le Maire).

La pièce est traduite et représentée à Paris en 1904, au Théâtre Déjazet. De nombreuses autres pièces suivront, peuplées de personnages aussi pittoresques que Herr Oberehrenschützenmeister Plaschke ou l’hilarante Fräulein von Trutschen.

L’HOMME-ORCHESTRE

En 1899, Stoskopf fonde le Salon d’Art de la Revue Alsacienne Illustrée – où sont révélés des artistes comme Hansi, Henri Loux, Georges Ritleng et Leo Schnug. Ce succès sera à l’origine de la création de la Société des Artistes Strasbourgeois, de la Maison d’Art Alsacienne et de la Société pour la Conservation du Vieux Strasbourg.

C’est encore à Saint-Léonard, avec ses amis Spindler et Laugel, qu’est décidée la fondation du Musée Alsacien (1900). Stoskopf soutient le lancement du Journal d’Alsace-Lorraine (1904) et fonde le Nouveau Journal de Strasbourg (1908), dont René Schickele sera rédacteur en chef.

LE HOLBEIN DE BRUMATH

Dès 1912, il entreprend de peindre une vaste galerie de portraits de paysans alsaciens. Par leur style sobre et puissant, les œuvres de Stoskopf contrastent avec l’art pompier alors en vogue dans les Salons : « Les paysans de M. Gustave Stoskopf, écrit un critique parisien, sont des primitifs alsaciens aigus, serrés, patients et travaillés comme des personnages d’Holbein ».

C’est dans les mêmes années que Stoskopf publie ses recueils de contes : D’Müsikantemueter en 1910 et Üs minere Kneckeszitt en 1923. Il y met en valeur à la fois son talent d’auteur comique, l’acuité de son œil de peintre et sa profonde connaissance du terroir alsacien.

LE TÉMOIGNAGE D’ALBERT SCHWEITZER

Son cousin Albert Schweitzer nous laisse un beau portrait de cet homme aux multiples talents, infatigable et cependant d’une rare simplicité : « Ce que je puis dire de plus vrai et de plus beau de lui : cet homme, qui savait si bien nouer ou conduire l’intrigue dans ses pièces de théâtre, n’était pas capable d’une seule intrigue dans sa vie. Sa destinée était de subir dignement et noblement les intrigues. Il a honoré l’Alsace non seulement par son talent, mais par sa personnalité. »

Le 6 décembre 1944, Stoskopf meurt à l’hôpital de Brumath sans avoir vu la libération de l’Alsace, tout comme Adolphe Matthis, le 25 mars 1944, était mort lui aussi à Strasbourg.

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HOMMAGE À GUSTAGE STOSKOPF PRONONCÉ PAR SON PETIT-FILS NICOLAS STOSKOPF À L’OCCASION DE LA REMISE DU PRIX NATHAN KATZ DU PATRIMOINE

Je dois vous dire que je suis toujours épaté par les multiples facettes des talents de mon grand-père : peintre, auteur dramatique à succès, poète, journaliste, patron de presse, créateur et administrateur d’institutions culturelles. Et puis à l’intérieur de ce large éventail d’activités, par le contraste entre l’humour, la fraîcheur, le mouvement, la légèreté de ses comédies du Théâtre alsacien, de ses récits ou de ses sketches d’un côté, et de l’autre par l’austérité, la raideur très protestante, la gravité, la profondeur de ses portraits de vieilles femmes ou de paysans alsaciens.

Et en sus de tout cela, un remarquable sens de l’organisation qu’on vérifie dans ses archives : on a conservé par exemple de lui un planning de la Strassburger neue Zeitung qui établit le compte à rebours de la parution quotidienne du journal en fonction du départ du courrier pour Sarreguemines à 4 h 04 et pour Mulhouse à 4 h 12 ou encore un recueil manuscrit de statistiques qui donne le détail des ventes du journal et de certains titres concurrents.

C’est grâce à cette diversité de talents que Gustave Stoskopf est devenu l’homme orchestre du mouvement de renaissance artistique alsacien du début du siècle, mouvement collectif qui prend corps à Saint-Léonard, dans les soirées de la Mehlkischt, puis dans les rencontres du Kunschthaffe, à Schiltigheim, mais qu’il a puissamment contribué à structurer :
– on le trouve aux origines en février 1898 du Théâtre alsacien de Strasbourg, dont il devint président en 1901, et, cette même année 1901, du Syndicat des théâtres alsaciens dont il prit la présidence ;
– aux origines également du Musée alsacien en 1900-1902 (voir dans l’ouvrage le récit des tournées d’artistes dans les villages d’Outre-forêt) ;
– il fut le grand organisateur des expositions d’artistes à Strasbourg, action qui aboutit à la création en avril 1905 de la Société des artistes strasbourgeois (dont il assura le secrétariat) et en décembre de la même année de la maison d’art alsacienne (dont il devint directeur) ;
– en 1909, il prit l’initiative de créer un grand journal, de tendance démocrate, la Strassburger neue Zeitung qui rassembla quelques grandes plumes de l’époque : René Schickele, Otto Flacke, Ernst Stadler, Theodor Heuss, Emma Muller et Charles Frey… C’est dans ce journal que Gustave Stoskopf fit paraître ces récits et nouvelles recueillis après guerre dans l’ouvrage que nous célébrons aujourd’hui.
– après-guerre enfin, il fonda et présida la Syndicat des éditeurs de journaux d’Alsace et de Lorraine qui rassemblait tous les titres de l’époque, la Société des écrivains d’Alsace et de Lorraine et fut un pionnier de Radio Strasbourg dans les années 1930.

Mais la grande époque du mouvement artistique alsacien se situe incontestablement avant 1914 : Gustave Stoskopf et les artistes qui l’entouraient n’avaient peut-être pas encore une « conscience européenne », mais ils ont dû, contrairement à beaucoup de leurs contemporains, mettre l’idée de nation, le nationalisme, à distance : dans l’Alsace allemande, ils avaient la nationalité allemande, mais ne pouvaient adhérer au sentiment national allemand ; ils étaient francophiles, mais sans vouloir tomber dans les excès nationalistes et militaristes de l’époque (qui était celle de Déroulède et d’un nationalisme de droite antidreyfusard). D’où ce rêve d’une Alsace au carrefour des cultures françaises et allemandes, trait d’union entre les deux grandes nations, un rêve brisé par la guerre de 14-18. Ceci pour dire qu’en tant que journaliste et animateur culturel, Gustave Stoskopf a toute sa place dans ces Rencontres Européennes de Littérature.

C’est un immense bonheur de voir publié en français ce livre de mon grand-père devenu inaccessible, d’une part parce que l’ouvrage publié en 1923 n’est évidemment plus disponible en librairie, d’autre part, parce que, si on parle de moins en moins l’alsacien, on le lit encore moins ! Or publier ce livre, c’est véritablement exhumer tout un pan du patrimoine alsacien jusque-là caché, occulté, c’est faire revivre un monde perdu, la société encore très rurale d’avant 1914, ses us et ses coutumes, et surtout ses personnages caractéristiques. Un grand merci à l’éditeur Gérard Pfister qui a pris cette belle initiative et à Noctuel a qui a assuré ces remarquables traductions et qui a montré qu’il était possible de traduire le dialecte alsacien en sauvegardant l’humour savoureux de son auteur.

Encore un mot sur le Prix Nathan Katz du patrimoine attribué dans le cadre de ces quatrièmes Rencontres Européennes. Pour un auteur, c’est un grand privilège de se voir honorer 85 ans après la parution de son livre et plus de 60 ans après sa mort : ça donne en réalité de l’espoir à tous les auteurs…

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ROGER SIFFER : GUSTAVE STOSKOPF, L’HOMME DE THÉÂTRE

Quand Jacques Goorma m’a proposé de travailler sur Stoskopf, je sortais de l’exposition que le MAMCS consacrait à Jean Hans Arp. À la sortie, j’ai voulu saluer le Christ de Gustave Doré et je suis tombé nez à nez sur le tableau du maire en gilet rouge de Stoskopf. Cette rencontre avec ce tableau m’a précipité dans l’anthologie des peintres de François Lotz où j’ai lu que Gustave Stoskopf était le Molière alsacien. Jean Dentinger et Bernard Vogler utilisent la même comparaison.

En fait, j’ai eu raison de commencer par le peintre, car les personnages au théâtre semblent sortir de ses toiles. Dentinger a écrit dans 2000 Jahre Kultur am Oberrhein : «Er schuf eine umfangreiche Galerie Elsässischer Volktypen. Sie errinern an seine Bilder ». Grâce au travail de Noctuel, j’ai pu lire d’autre part que j’avais historiquement raison. Après s’être essayé à une carrière de naturaliste puis de bricoleur, l’enfant Stoskopf se lança dans la peinture au point, dit-il, qu’on put bientôt m’appliquer les fameux vers : « Il peint si bien la vieille tante à verrue que chacun l’a vite reconnue. »

Ce n’est qu’ensuite que commencèrent, comme il dit encore, ses premiers pas d’auteur dramatique : « Pour ma honte, je dois convenir que ce ne sont pas de nobles motifs qui me poussèrent à devenir dramaturge, bien au contraire ! En effet, outre mes penchants pour l’exploration et l’invention, j’avais une solide bosse du commerce qui m’incitait à faire prospérer ma fortune en boutons, lesquels boutons jouaient, pour les autres gamins, le rôle de l’argent pour les grandes personnes. C’est ainsi que me vint l’idée de fonder un théâtre dont le droit d’entrée serait payable en boutons. Je visais ainsi à multiplier sérieusement mon immense capital, mille trois cents pièces, qui faisait déjà de moi le Rockefeller des millionnaires en boutons brumathois. Ce théâtre fut monté dans une remise vacante du voisinage qu’occupaient deux camarades de mon âge, avec de vieux chiffons, tapis, vieilles perches à houblon et autres moyens nécessaires à la scénographie. Mon institut culturel ne tarda pas à connaître la plus grande prospérité et la plus haute considération dans l’univers des gamins brumathois et tous les jeudis on y joua la comédie. Oui, va-t-on me dire, mais pour les pièces ? Un détail ! Rien n’étant plus facile, comme chacun le sait, d’écrire des pièces de théâtre. Ce genre de détail n’avait alors rien pour m’embarrasser. Les pièces, je les ai simplement fabriquées à partir des feuilletons du journal auquel étaient abonnés mes parents. Et comme les acteurs de mon théâtre étaient tous de grands artistes (n’y a-t-il pas que de grands artistes au monde ?), il était même inutile d’écrire les rôles. On dit à chacun ce qu’il avait à peu près à faire, et chacun trouvait au bon moment les mots appropriés, et s’il arrivait dans la pièce qu’on ne puisse plus ni avancer ni reculer, alors on baissait le rideau dans une bagarre générale. »

Chronologiquement, il a effectivement été peintre avant d’écrire des pièces. Sa fréquentation du Kunschthaffe, du fabricant de foie gras Auguste Michel et surtout les soirées cabaret de la Mehlkischt permettent un premier éclairage sur son travail d’auteur dramatique. Se retrouvaient dans ce cabaret d’après le nouveau dictionnaire des biographies alsaciennes, des étudiants francophiles. Francophile, le mot est lâché. Stosskopf fut, ce qu’on appelle aujourd’hui, un auteur engagé. Lorsqu’il deviendra directeur du journal Die Strassburger Neue Zeitung il aura pour philosophie : « combattre les entreprises réactionnaires, le cléricalisme ainsi que les incitations chauvines d’où qu’elles viennent ». Sa première écriture, il la consacra à des chansons françaises. Et ce n’est encore une fois pas un hasard, si c’est dans H2S, journal des étudiants en pharmacie, que parurent ses premiers monologues. C’est aussi dans H2S que publia Hansi et toujours dans H2S, en 1903, que Jean Hans Arp publia son premier dessin et surtout son premier, et à ma connaissance, son seul poème en alsacien : « Worum den hiele, Schatzele ».

Contrairement à ceux de l’Alsabund qui privilégiait le Hochdeutsch, ou même Hansi qui utilisait l’Allemand pour ses satires, Stosskopf décida de faire de la résistance politique avec l’aide de l’alsacien. À l’époque, on colportait l’adage suivant : « Français ne puis, Allemand ne veux, Alsacien je suis. » C’est en 1898 que Stosskopf, Bastian, Greber et Hauss créèrent le TAS en déclarant : « Wir wollen unsrer Väter heilig Erbe aufrecht erhalten in dem Strom der Zeit », et c’est cette même année qu’il écrivit son best-seller le Herr Maire, accueilli triomphalement à Strasbourg.

Traduite en français, elle fut donnée à Paris en 1902 et 1903 au théâtre Dejazet et jouée en 1908 devant l’empereur Guillaume II. D’après Frédéric Hoffet, dans la Psychanalyse de l’Alsace, l’Empereur donna une réception après le spectacle dans son palais, parla quelques mots en alsacien et, d’après NDBA, il décora Stoskopf de l’Ordre de l’Aigle rouge, aigle que souhaitait tellement le Herr Maire. On est puni par là où on a péché. Comme disait Germain Muller, lui aussi surnommé le Molière alsacien : « Waje de Bandele sin mir jetz gar nix meh », texte qu’il a continué à chanter après avoir reçu la Légion d’Honneur. Pourquoi le succès colossal de ce Herr Maire ? Parce que la pièce est insolente, discrètement anti-prussienne et élégamment Cocorico.

En résumé, un maire de village plutôt macho rêvant d’obtenir des décorations, décorations qu’il mérite puisqu’il a toujours voté pour le Kandidat du Kaiser et qu’il lève toujours poliment son chapeau devant le gendarme, maire alsacien, donc, veut marier sa fille à un gros benêt qui doit hériter d’une ferme avec deux portes cochères. Le portrait du maire alsacien lèche bottes basique est féroce. Par une astuce de vaudeville intervient un pseudo intellectuel prussien qui passe son temps à noter des expressions alsaciennes : « Das müess ich mir notieren. » Finalement, la fille du maire partira avec un cycliste de passage parlant français.

La pièce fut jouée dans toute la région. À titre indicatif, rien qu’à Strasbourg, le TAS a joué 735 représentations des œuvres de Stosskopf en un siècle. Mais, pour le centième anniversaire en 1998, Marcel Spegt, directeur du TAS, ne remonte pas la pièce. Dans une interview à News d’Ill, il dit : « Trop vieux jeu, trop rabâchée, elle n’aura pas de succès. ». Pourtant, pour Bernard Kolb, le directeur de la coopérative régionale du cinéma culturel, Stoskopf, le Molière alsacien (encore !), a su analyser l’âme régionale et faire des descriptions psychologiques très justes de ses personnages.

Le succès du Herr Maire en Alsace, en Allemagne et à Paris, continua après 1918. Par contre, les Allemands l’interdirent formellement en 1940 et, après la libération, les autorités françaises semblent avoir empêché qu’elle fût reprise. Frédéric Hoffet nous dit : « Ainsi nazis et résistants furent d’accord pour s’opposer à la représentation d’une comédie qui illustre d’une façon caractéristique le destin de l’Alsace. Elle déplaisait aux premiers parce que les fonctionnaires allemands y étaient ridiculisés et que son héroïne finissait par épouser un Alsacien de langue française. Quant aux seconds, sans doute jugeaient-ils sacrilège qu’un maire alsacien put s’enorgueillir de porter la croix de l’Aigle rouge ! L’affaire devint encore plus curieuse lorsqu’en 1939 on tira un film de cette comédie. On veilla bien à ne pas insister sur la malheureuse décoration allemande qui n’apparaissait qu’un moment, posée sur un coussin que l’héritier du Herr Maire offrait aux yeux du public. La guerre étant intervenue, le film ne put être présenté. On tenta de l’adapter au patriotisme de mode après la libération. Les auteurs ajoutèrent dans ce but une scène où l’on voit le Herr Maire décoré de la Légion d’honneur ! Sans doute pensaient-ils par là effacer la tache que représentait sur une poitrine française une décoration impériale. »

Je voudrais à présent rapidement évoquer aussi quelques considérations techniques, théâtrales et linguistiques. Dans l’Histoire culturelle d’Alsace, Bernard Vogler nous rappelle l’apparition de l’Alsabund qui, je cite, « déplore l’absence de toute exigence artistique formelle et le choix du dialecte ». Vogler rappelle encore : « L’événement alimente des articles de presse. Car tant certains francophiles que des germanophiles se montrent choqués par cette valorisation de l’alsacien ». Avant Stoskopf, il n’y a qu’une pièce alsacienne d’intérêt Pfingstmontag de Arnold. Je pense que le choix de l’Alsacien ne fut pas qu’une arme politique de résistance. Pour moi, ce fut aussi un choix poétique. Ce n’est pas pour rien que le professeur collectait les expressions dialectales, Stoskopf les recherchait et les utilisait amoureusement. J’ai noté quelques images dans la pièce Millionepartie et Herr Maire :

Fahnebibbel.
So g’schwindt das e Geiss tritt
Verliebt bis ewer d’Ohre
Mit de Lieb kann mir nit inkaufe, awer mit Millione.
S’passt ihm wie e Aff e Chilet
Er hüllt wie e Schloss Hund
Nien schirre e Latt
Esse un trinke hebt Lieb un Seel zamme
D’r Hirn Kaschte steht mir still
Ich komm mir vor wie e gezierter Oschterochs
Packe de courage wie e Geissbock im Kritz

La technique d’écriture est aussi éminemment moderne, ainsi il use et abuse du runing gag :
Mach dir e Knopf in’s Nachtuech
Ich bin ganz von din’re Meinung
Lui fait mettre et enlever les gants
S’esch bös Mahl an de Knepfle.

Quant aux canards qui passent de main en main dans le Herr Maire, c’est digne de Laurel et Hardy. L’erreur de prononciation et le jeu de mot reviennent sans cesse (mirabelant au lieu de mirobolant) et enfin, pour embêter l’occupant prussien, il s’amuse beaucoup à faire de la contrebande de mots français.

Er macht e remplacement
Er det « conveniere »
S’esch nit gepermettiert
Ich bin foudroyiert
So ganz sans façon
Mache die wieder e embarras
Des esch infâme so intriguiere
Ich bin emotioniert
Ich kann entreprenant ware
Des esch e Infamie
Mir gehn in attata e Schobe trinke.
Ich acceptier ken refus

La lecture de la pièce Millionepartie m’a permis de constater une fois de plus le sens de l’adaptation des Alsaciens qui faisait dire à Amédée, l’un des comédiens fétiches de Germain Muller, « le jour où les Africains envahiront l’Alsace, les Alsaciens iront tous s’acheter du cirage pour se noircir la figure ». Marguerite récite les villes arrosées par l’Oder, mais se trompe et cite les villes arrosant l’Elbe : « An de Oder liegen die Städte Königskrätz, Pirna, Dresden, Meissen, Torgau, Wittenbert, Magdeburg, Hamburg. » La comédienne qui a interprété le rôle après guerre a changé l’Oder en Garonne et cite, en se trompant, les villes de la Loire : « La Garonne arrose les villes suivantes : Le Puy, Roanne, Nevers, Cosne, Giens, Orléans, Blois, Ambroise, Tours, Saumur, Ancenis, Nantes, Saint-Nazaire. » Éternelle Alsace.

Pour conclure, je me dois de rappeler que ce n’est pas un hasard si Stoskopf a été si fertile en cette période, la satire et la liberté de la presse sont à ses côtés puisque L’Assiette au beurre naît à Paris en 1901 et le Simplicissimus allemand en 1896. Tout cela a bien sûr fécondé le Professeur Knatschké de Hansi que je voudrais citer, car il a mis une deuxième couche anti-germanique je peux me permettre l’expression (puisque Hansi fut aussi peintre). Je vous rappelle que le professeur proposait de germaniser les noms de rues à Paris, ainsi Saint-Germain-des-Prés devait devenir Skt-Germanus-in-der-Wiese à ne pas confondre avec Saint-Germain-en-Laye, Skt-Germanus-in-der-Milch.

Je vous propose une recette d’un anti-germanisme primaire que je peux me permettre puisque ma femme est allemande : « Pour faire une soupe à la bière vraiment savoureuse, prenez un litre de bière brune, un demi litre de lait, un demi litre de crème fouettée et mêlez le tout ensemble. Ensuite, ajoutez un peu de lard cuit à petit feu et coupez finement, avec une pleine main de raisins secs et d’amandes hachées (les amandes peuvent être remplacées par des sardines à l’huile. Laissez le tout cuire une petite heure et, avant de servir, ajoutez un peu de sauce Maggi. »

Je finirai avec une anecdote. Dans la dernière revue satirique de la Chouc’, on a fait une parodie Grossmannienne de Harpagon : « On m’a volé ma cassette » est devenu « On m’a volé ma médiathèque ». J’annonçais évidemment que la tirade était de Molière et j’ajoutais perfide : « Molière, vous savez, le Gustave Stoskopf français ». Ça ne faisait pas du tout rire le public francophone, par contre les Alsaciens s’amusaient beaucoup.

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FRANÇOIS PÉTRY : GUSTAVE STOSKOPF, LE PEINTRE 

Gustave Stoskopf (1869-1944) a déployé une activité considérable : il a été poète, homme de théâtre particulièrement. Son œuvre littéraire est plus importante qu’on ne le croit généralement : il a publié une quinzaine de pièces de théâtre, écrites en dialecte (essentiellement des comédies, du vaudeville, également un drame) ; on lui doit également un opéra (musique de Marie-Joseph Erb). Mais il est l’auteur aussi d’ouvrages de poésies, de chansons, enfin de deux ouvrages de contes : D’Muesikantemuetter et Üs minere Kneckeszitt. Ce dernier ouvrage a été retenu pour le prix Nathan-Katz du patrimoine.

On n’oubliera pas que Gustave Stoskopf a été également rédacteur de presse, directeur de journal et qu’il a publié un nombre considérable d’articles ; par ailleurs, il a été animateur de radio, en particulier d’une série intitulée Elsaessiche Owe (veillées alsaciennes). Son œuvre écrite et parlée est ainsi difficile à délimiter, elle reste en grande partie inédite.

Gustave Stoskopf a été un animateur hors pair de la culture alsacienne durant la période du Reichsland particulièrement. Il a fait partie du Mouvement de Saint-Léonard, on le trouve au Kunschthafe d’Auguste Michel, il est parmi les fondateurs du Musée alsacien ; il est ultérieurement un animateur de la Maison alsacienne, de l’Association des Artistes indépendants d’Alsace… Il a été le créateur du Théâtre alsacien de Strasbourg ; fondateur aussi de journal (Le nouveau journal de Strasbourg). Il a aussi créé la Fédération pour la Conservation du costume alsacien.

Stoskopf a eu un souci immense de la culture alsacienne, il a été un défenseur, parmi les plus grands, de la langue alsacienne. Dans l’histoire régionale, Stoskopf occupe une place unique non seulement d’organisateur et de fédérateur, mais aussi de passeur de langue et de traditions.

On en oublierait presque que Gustave Stoskopf a aussi été peintre. Il a été formé à la peinture et celle-ci constitue son métier au départ. A partir de 1887, Il a étudié à Paris, chez Colarossi, à l’Académie Julian. Il est l’élève de plusieurs bons maîtres. Etant sujet allemand, sauf à rester en France et à être considéré comme déserteur, il doit effectuer son service militaire. Il apprend qu’il existe une opportunité dans le Reich allemand relativement libéral d’effectuer des études aux Beaux-Arts en compensation en quelque sorte de son temps de service. Il part donc, en 1892, pour quelque deux ans, à Munich. Il a comme maître notamment Paul Hoecker, mais suit aussi des cours chez Franz von Stück. En France comme en Allemagne, Stoskopf a été formé principalement à la peinture de paysage. Effectivement, la peinture de paysage occupe une place non négligeable dans son oeuvre peint : vues des bords de la Zorn, ambiances un peu noyées du ried du nord, champs en culture, cours de ferme. On s’intéressera cependant ici surtout à ses portraits.

Stospkopf est l’auteur d’une galerie de portraits impressionnants. Il s’inscrit d’une certaine manière, mais avec beaucoup de singularité, dans ce mouvement de portraitistes particulièrement actif qui marque la peinture alsacienne de la fin du XIXe s. et des premières décennies du XXe s. Cette spécificité de la peinture régionale dans le domaine du portrait n’a pas été jusqu’ici suffisamment mise en avant.

Évoquer la peinture de portrait revient à réaliser une sorte de « traversée » de l’histoire de la peinture régionale et à en évoque les meilleurs acteurs. Le peintre qui, dès les années 1890 notamment, développe ce genre avec une grande réussite est Lothar von Seebach. À titre anecdotique, on évoquera Schell qui a peint, apparemment avec un bon succès public et des qualités moyennes de peintre, une quantité innombrable de portraits qui lui ont valu d’être la risée du groupe de peintres et de gens de lettres constitué autour de Georges Ritleng.

En rappelant pour mémoire, les excellents Haut-Rhinois, « peintres de Paris », Henner et Zwiller, on signalera aussi les grands succès, locaux, mais également parisiens et internationaux, de Hornecker qui disparaîtra précocement. Émile Schneider occupe une place à part : marqués par ses séjours français, par la caricature même, ses figures peintes, y compris ses autoportraits, sont quelquefois satiriques, sinon sarcastiques. Henri Beecke enfin a peint quelques tableaux importants. On lui doit (devait) des tableaux fameux de la famille du poète Stadler, perdus lors du bombardement de Cassel ; il ne reste plus qu’un portrait du poète (2e état) à Marbach. Ces travaux (souvent remarquables) restent peu vus, à part son portrait de Jean Arp en voyageur, présenté régulièrement sur les cimaises du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. Parmi d’autres contemporains de Stoskopf, il faut mentionner, bien sûr, Louis-Philippe Kamm qui a de grandes réussites à son actif dès les tout débuts des années 20 (portraits bien connus de paysans de Seebach et Hunspach, ou encore du directeur de la maison d’art alsacienne, de Bonte), mais qui, encore dans les années 40, souvent sur commande, peindra, parfois avec lassitude, des portraits de paysans alors qu’en lieu et place, il aurait tant aimé peindre des paysages de Provence… De forts bons portraits sont connus aussi de Hubrecht, ou encore de Gachot, Hueber ou Heitz (ce dernier se prenant lui-même souvent pour modèle).

De toute évidence, Gustave Stoskopf a beaucoup vu et beaucoup enregistré. Il a toujours été un excellent observateur des caractères et des mœurs pour son œuvre théâtrale et même ses contes. Il ne l’a sûrement pas moins été pour sa peinture. Au moment de ses séjours parisiens, dans le cadre des cours qu’il suivait comme lors de ses explorations personnelles, il a certainement fréquenté le Louvre, admiré les portraits de princes de Clouet, les travaux des Flamands. Pareillement, au moment de sa période munichoise, il a eu la possibilité de fréquenter les institutions muséales et ainsi de se trouver face aux portraits de la Renaissance allemande ; il a certainement suivi aussi avec attention la production de ses contemporains munichois. Dès les années 1880, Stoskopf s’est essayé au portrait de proches : il a ainsi laissé des dessins au crayon et aussi quelques huiles représentant des membres de sa parenté. Certains de ces portraits présentent déjà des qualités de dessin indéniables et sont, également marqués par un part pris épuré, donc annonciateurs des travaux des années 1920 et 1930.

En tant qu’animateur de la vie artistique régional, Stoskopf connaissait évidemment fort bien aussi tous les acteurs de la peinture régionale et leurs travaux. Dans les années 20, il a certainement été sensible à un mouvement qui s’est développé en Allemagne, celui de la Neue Sachlichkeit ou Nouvelle Objectivité. Des peintres de cette obédience qui marqua aussi l’Alsace (Martin Hubrecht ou Dorette Muller par exemple) devaient multiplier les portraits de gens fort divers, notamment dans leur environnement professionnel ou familial.

Le peintre Bernard Buffet, qui avait vu divers portraits de Gustave Stoskopf, évoqua, un jour, devant Charles-Gustave Stoskopf, à la surprise de celui-ci, la forte impression qu’avaient faite sur lui les figures et les mains des portraits paternels. Pour l’ouvrage que Charles-Gustave Stoskopf consacra à son père, Buffet confia un texte de préface où il relève le caractère expressionniste de cette peinture de portraits et rappelle la fascination toujours éprouvée pour les mains. Effectivement, Gustave Stoskopf a toujours accordé un soin particulier aux visages et aux mains. Dans une œuvre (réserve des Musées de Strasbourg), le fond est sombre, le costume est noir et ne sortent de l’ombre que la figure et les mains.

Les sujets que Gustave Stoskopf a retenus pour les portraits de sa maturité sont principalement des hommes âgés, marqués par la vie. Les portraits de femmes sont comparativement peu nombreux. Un tableau, qui n’est pas sans rappeler des œuvres similaires de Kamm (femmes à l’église), montre un groupe de femmes sur les bancs de l’église de Krautwiller. Ce tableau est quasi-allégorique : les femmes âgées aux visages très dessinés, aux tenues noires sont accompagnées d’une fillette qui égaye cette ambiance sombre par sa joliesse et sa fraîcheur que souligne encore le large col blanc de sa tenue. Un portrait tardif (1943) montre une jeune femme de profil, portant une coiffe alsacienne : Stoskopf s’est attaché à représenter le détail de la tenue (blouse, col, corsage), on retrouve donc, là, le souci du fondateur de la Fédération pour la Conservation du costume alsacien. Cette jeune femme apparaît déterminée, confiante, sa figure est lisse, pleine de santé. Quel contraste avec les autres femmes et surtout les hommes âgés représentés sur bien d’autres tableaux !

Sur la majorité des portraits de Stoskopf, les personnages portent les stigmates d’une vie longue et assez rude. Effectivement, le peintre représente des figures bien marquées, les rides sont creusées, parfois les chairs se relâchent et se défont. Pareillement, les mains sont noueuses, nerfs et vaisseaux sont saillants. Les chemises sont blanches, les costumes sombres, le gilet rouge est à peine visible. Le fond du tableau est le plus souvent épuré : certaines fois, l’échappée d’une fenêtre, une partie de meuble (bout de table notamment, horloge de parquet) et quelques éléments typiques (cruchon sur la table, image populaire au mur). Quelquefois, c’est la sobriété totale, un mur blanchi sans plus, un paquet de scaferlati sur la nappe.

Gustave Stoskopf a d’évidence un grand souci de la figure humaine, il capte le temps qui passe, il cherche à figer des traits éternels. Par des dessins multipliés que l’on connaît par ailleurs, faits sur des cartes de théâtre ou des documents électoraux lorsqu’il avait à patienter, on voit comment le peintre fait ses gammes. Il part d’un portrait réaliste, puis creuse les rides, outre les traits. Même si les modèles sont, dans quelques cas, des notables ou encore tel acteur, Stoskopf peint des personnages représentatifs de la campagne alsacienne. Le peintre saisit des caractères de « paysans », il cherche à rendre des portraits de personnages qui seraient comme des « concentrés » du monde paysan. Nicolas Stoskopf, petit-fils du peintre, a relevé avec raison le caractère archétypal des sujets, la recherche de « l’homme immuable et stable de la société paysanne ».

Effectivement si le peintre fait appel aux mêmes modèles quelquefois (il change alors les coiffes, les postures), il ne cherche cependant pas à capter l’évolution du temps sur la figure d’un Charles Metzger ou d’un Martin Zilliox qui sont ses modèles de prédilection. Il voit en ceux-ci les traits du « paysan éternel » qu’il lui importe de fixer.Comme au théâtre, Stoskopf a trouvé dans la peinture ses types, ses caractères. Une illustration plaisante est fournie par un tableau où le théâtre et la peinture se rejoignent : Stoskopf y représente l’acteur Adolphe Horsch qui a été le créateur du rôle du Herr Maire de la pièce homonyme. On en connaissait une photo posée de 1898, le montrant cambré et, comme le veut la pièce, dans une attitude de cabot plastronnant avec sa médaille ; le tableau de 1932 nous montre Horsch assis, méditatif, marqué et un peu enrobé par les ans. Le maire de l’auteur de théâtre rejoint, là, le riche ensemble de princes-paysans figés dans l’éternité par le peintre.

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