Éliane Bouchery et Jean Moncelon ont été les septièmes Lauréats de la Bourse de Traduction Nathan Katz. La Bourse de Traduction leur a été remise en mars 2011 dans le cadre des Rencontres Européennes de Littérature à Strasbourg. Leur traduction a été publiée aux Éditions Arfuyen, partenaires du Prix :
L’AMI DE DIEU DE L’OBERLAND, Le Livre des cinq hommes, traduit du moyen haut-allemand et présenté par Jean Moncelon et Éliane Bouchery. Collection Les Carnets spirituels n° 78. ISBN 978-2-845-90161-2
Rulman MERSWIN, Le Livre des neuf Rochers. Traduit du moyen haut-allemand et présenté par Jean Moncelon et Éliane Bouchery. Préface de Francis Rapp. Collection Les Carnets spirituels n° 77. ISBN 978-2-845-90158-2
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Éliane Bouchery-Willer est née en 1955 à Illkirch-Graffenstaden. Diplômée de l’Université de Strasbourg (DEA d’allemand), elle est traductrice et enseignante. Professeur de français langue étrangère en Allemagne et en Suisse, elle enseigne actuellement l’allemand en France.
Jean Moncelon, né en 1954, est titulaire d’un doctorat de Lettres modernes et d’un doctorat d’État en Lettres et Sciences humaines (thèse sur l’orientaliste Louis Massignon). Avec Christian Destremau, il a publié Louis Massignon, le cheikh admirable (Éditions Le Capucin, 2005).
Il a créé et anime le site D’Orient et d’Occident, qu’il définit comme « une communauté virtuelle des pèlerins d’Orient, des admirateurs de Novalis et de tous les amateurs de rêves, de poésie, d’aventures intérieures, de peuples oubliés et d’écrivains nomades ». De Goethe à Louis Massignon, de Nerval à Bruce Chatwin, l’Orient n’a cessé d’attirer à lui aventuriers et nomades, poètes, écrivains et savants d’Occident, qu’il s’agisse de l’Orient géographique ou de l’Orient intérieur.
Jean Moncelon a également créé un site entièrement consacré aux Amis de Dieu. Le nom qu’il lui a donné, Insula Viridis, évoque la fondation, au quatorzième siècle, de ce « refuge » de simples laïcs en quête de spiritualité que fut l’Île Verte de Strasbourg de Rulman Merswin, et surtout la figure de l’Ami de Dieu de l’Oberland, qui en fut l’inspirateur.
Ils ont reçu la Bourse de traduction du Prix Nathan Katz du patrimoine 2010 pour leurs traductions du Livre des neuf rochers de Rulman Merswin et du Livre des cinq hommes de l’Ami de Dieu de l’Oberland.
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DISCOURS DE RÉCEPTION DE LA BOURSE DE TRADUCTION NATHAN KATZ PRONONCÉ PAR JEAN MONCELON ET ÉLIANE BOUCHERY LE 11 MARS 2011 AU PALAIS UNIVERSITAIRE DE STRASBOURG
L’aventure spirituelle des Amis de Dieu de Strasbourg, au 14° siècle, reste principalement le fait de trois hommes : un frère dominicain, Jean Tauler (mort en 1361), et deux laïques, un riche banquier strasbourgeois, Rulman Merswin (mort en 1382) et un mystérieux maître spirituel (mort après 1380), connu sous le nom de « l’Ami de Dieu de l’Oberland ».
Entre les trois hommes, partageant une même spiritualité héritée de Maître Eckhart, s’établirent des liens intimes ainsi que des relations de maître à disciple : Jean Tauler fut le confesseur de Rulman Merswin, l’Ami de Dieu de l’Oberland le guide intérieur du même Merswin, et peut-être aussi le maître anonyme qui convertit Jean Tauler… Au centre de ce triangle se trouve l’Ami par excellence, le Christ.
Quatre œuvres majeures peuvent être recensées qui s’y rapportent : les Sermons de Jean Tauler – dont une partie est apocryphe. Le Livre des neuf rochers de Rulman Merswin, mais qui fut longtemps attribué au bienheureux Henri Suso, le Livre du Maître qui raconte la conversion d’un frère prêcheur par un laïque, œuvre soit de Jean Tauler, soit de l’Ami de Dieu de l’Oberland, soit de Rulman Merswin. Enfin, le corpus des traités spirituels signés de l’Ami de Dieu de l’Oberland, mais qui pourraient être de la main de Rulman Merswin. Ce dernier corpus, qui demeure inédit, appartient au premier chef au patrimoine littéraire strasbourgeois et alsacien.
Deux lieux, indissociables l’un de l’autre, pour des motifs spirituels, sont représentatifs de cette aventure : une communauté de laïques, un « refuge », l’Île Verte – daz Grüne Woerth – animée à Strasbourg par Rulman Merswin. C’est le Bas-Pays, en relation avec l’ermitage de l’Ami de Dieu : l’Oberland, le Haut-Pays, que l’on peut situer en Suisse ou en Haute-Alsace, et dont l’histoire est racontée dans le Livre des cinq hommes.
L’aventure des Amis de Dieu strasbourgeois, c’est, enfin, une énigme. L’Ami de Dieu de l’Oberland lui-même, tenu par les uns pour une pure invention de Rulman Merswin, née de son imagination, ou comme une « pieuse dissimulation » (Jean Devriendt), et par les autres pour un maître intérieur, présence cachée et invisible à tout autre que Rulman Merswin. Il est vrai que les documents manquent pour attester de manière certaine son existence historique.
Pourtant rien ne s’y oppose : l’Ami de Dieu de l’Oberland fut un maître spirituel, recherchant l’anonymat, en accord avec sa spiritualité, toute d’intériorité, et dont on sait que la conversion rappelle l’expérience de saint Paul sur le chemin de Damas, lorsqu’il fut ravi au troisième Ciel (« Je sais un homme dans le Christ qui, voici quatorze ans – était-ce dans son corps, je ne sais ; était-ce hors de son corps, je ne sais ; Dieu le sait – fut ravi jusqu’au troisième ciel… »).
Quoi qu’il en soit, la disparition de l’Ami de Dieu de l’Oberland, ou mieux encore son «occultation »en 1380, coïncidant, presque jour pour jour, avec la mort de sainte Catherine de Sienne, marque la fin d’un certain moyen âge – et de cette « mystique rhénane » dont les lumières n’en percent pas moins jusqu’à nous, aujourd’hui même.