
René Schickele (1883-1940) est l’une des plus grandes figures de la littérature d’Alsace et le seul écrivain dont deux textes ont été distingués par le prix Nathan Katz du patrimoine.
En 2009, Irène Kuhn et Maryse Staiber ont reçu la bourse Nathan Katz pour leur traduction de Himmlische Landschaft (1933) sous le titre Paysages du ciel. Et dix ans plus tard, en 2019, c’est Charles Fichter qui a reçu la bourse Nathan Katz pour sa traduction de Wir wollen nicht sterben (1922) sous le titre Nous ne voulons pas mourir.
Les trois textes ici présentés sont extraits du choix de poèmes publié en 1990 par les Éditions Arfuyen sous le titre Terre d’Europe dans une traduction de Gérard Pfister et avec une préface d’Adrien Finck (© Éditions Arfuyen, Paris-Orbey, 1990).
Ces deux poèmes sont lus par Myriam Fichter, élève au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris (CNSAD), qui en fait ressortir tout le raffinement et la douceur. Nous l’en remercions vivement.
WIDMUNG
Widmung / Dédicace
Ich bringe dir die Wälder meiner Heimat dar. / Der Ebnen goldne Ernten von jedem Jahr, / weitklingende, grün und weiße Buchenhallen, / die Berge und das Hochfeld über allen / mit seinem aufgeriebenen Vortrupp alter Kiefern / und hinterdrein die dichte Tannenmacht, / der alle guten Stürme ihre Schlachten liefern.
Je te présente les forêts de ma patrie. / Sur les plaines les moissons par chaque année dorées / les voûtes de hêtres vertes et blanches, aux longues résonnances / les montagnes et l’alpage à leur sommet / avec son avant-garde hérissée de vieux pins / et, derrière, l’épaisse armée des sapins / qui à tous les orages livre ses batailles.
Den Heidenfels, der in Maria Himmel dringt, / und eine Luft so lind / und helle Rebenhügel, zart geschweift, / wie sie sonst nur noch in Toskana sind.
Le Rocher des Païens qui dans le ciel de Marie s’élève / et un air si doux / et les claires collines du vignoble, délicatement cambrées / comme ailleurs on ne les voit qu’en Toscane.
Die hingeschmiegten Täler, wo / in buntgewirkter Mittagsglut / der süße Wein des Abends reift, / bis Nacht die Sträucher und die Blumen streift / und jedem seine Liebe aus dem Herzen, so, / wie eine Frau mit dem Geliebten tut.
Les vallées resserrées où / dans l’ardeur de midi tissée de toutes couleurs le doux vin du soir mûrit / jusqu’à ce que la nuit caresse les buissons et les fleurs / et en chacun l’amour de son cœur ainsi / qu’une femme auprès de l’aimé.
Dann kommt der Mond, steigt Odilia selbst hernieder, / schneeweiß und himmelblau. / Die Kinder murmeln im Schlaf die heiligen Lieder / von Unsrer Schönen Frau, / die meiner Heimat Geliebte war.
Alors vient la lune et Odile elle-même descend / blanche comme neige et bleue d’azur. / Les enfants en dormant murmurent les saints cantiques / de notre Belle Dame / qui de ma patrie fut l’aimée.
DIE HIMMLISCHE HOCHZEIT
Die himmlische Hochzeit / Les noces célestes
Als die heilige Odilia zum Sterben kam / — vielleicht erwachte sie noch einmal aus den Träumen, / die das Herz der Himmelsbräute laben — , / vergaß die Schöne plötzlich aller Scham.
Quand sainte Odile vint à l’heure de mourir / — peut-être une fois encore s’éveilla-t-elle des rêves / qui consolent le cœur des épouses du ciel — / alors soudain la belle fut libérée de toute honte.
Man musste das Getüch vom Bette räumen, / und alle Lichter wurden angebrannt auf ihr Geheiß. / Sie hob die gefalteten Hände und sagte leis : / So soll Er mich in seinen Armen haben.
Il fallut de son lit ôter les draps / et sur son ordre toutes les lampes furent allumées / Elle leva ses mains jointes et d’une voix douce murmura : / C’est ainsi qu’Il me doit tenir entre ses bras.
MEIN HAUS, DIE ARCHE
Mein Haus, die Arche / Ma maison, l’arche
Ich wandere / Am schwarzen Wald entlang / Nach Haus. / Aus einem einzigen Stern am Himmel / Bläst der Wind / Immer den gleichen Funken, / Als fürchte er die Nacht im Wald / Und hüte für das Tal, das sie bedroht, / Dies Lichtlein in der Not.
Je marche / au long de la forêt obscure / vers ma maison / D’une unique étoile dans le ciel / souffle le vent / toujours les mêmes étincelles / comme s’il avait peur de la nuit dans la forêt / et gardait pour la vallée qu’elle menace / cette petite lueur dans la détresse.
Plötzlich gießt der Mond / Sein Füllhorn aus ! / Der Hügel blüht als Weißdornhecke / An einem See, / Darinnen Dorf und Tal versunken. / Mein weißes Haus, die Arche, / Schwimmt darauf / In atemvoller Stille. / Nicht einmal die Hunde rühren sich, / Da ich den Hof betrete, / Im Traum nur hören sie mich kommen. / Süß beklommen, / Öffne ich die Tür und trete / In ein Geheimnis ein.
Soudain la lune verse / sa corne d’abondance. / La colline fleurit en une haie d’aubépines / au bord d’un lac / où sont noyés village et vallée / Ma maison blanche, l’arche / vogue sur ses eaux / en un silence plein de souffles / Les chiens ne bougent même pas / quand j’entre dans la cour / ils ne m’entendent venir que dans un rêve / Doucement poussée / la porte s’ouvre et j’entre / en un mystère.
Im dunkeln Zimmer, / Im dunkeln Bett, / Die Augen geschlossen, / Im dreifachen Sarg, / Sehe ich den Weißdornhügel, / Von seinem Licht umflossen, / Und, wie es sich von ihm löst, / Mein Haus, die Arche, / Auf dem breiten Tale schwimmend, / Das wiederum ein See ist / Wie vor Tausenden von Jahren.
Dans la chambre obscure / dans le lit obscur / les yeux fermés / dans le triple cercueil / je vois la colline d’aubépines / baignée de sa lumière / et comme s’en éloigne / ma maison, l’arche / voguant sur la large vallée / qui est à nouveau un lac / comme il y a des milliers d’années.