Le Cercle Émile Storck a été le neuvième Lauréat de la Bourse de Traduction Nathan Katz. La Bourse de Traduction a été remise à son Président, Richard Ledermann, en mars 2013 dans le cadre des Rencontres Européennes de Littérature à Strasbourg. Les traductions réalisées ont été publiées en édition bilingue aux Éditions Arfuyen, partenaires du Prix :
Émile STORCK, Par les fossés et les haies (In Gràwe un Hecke), poèmes, traduit de l’alsacien par le Cercle Émile Storck (Jean-Paul Gunsett, Richard Ledermann, Jean-Paul Sorg et Albert Strickler). Bilingue alsacien-français. Préface et notes par Jean-Paul Sorg. Collection Neige n° 25. ISBN 978-2-845-90184-1
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Le Cercle Émile Storck a été créé dans la ville natale du poète en l’an 2000 et s’est donné pour mission de promouvoir l’œuvre du poète et dramaturge Émile Storck par des lectures, par la publication d’un Bulletin et par des traductions.
Présidé par Richard Ledermann, le Cercle Émile Storck compte parmi ses membres Jean-Paul Sorg, qui a été l’origine du projet de traduction des poèmes d’Émile Storck et en a coordonné la réalisation. C’est à lui que l’on doit l’apparat critique de l’édition de ses textes, concernant notamment le lexique et la graphie d’Émile Storck. Le Cercle Émile Storck a bénéficié également du concours de deux poètes d’Alsace contemporains, Jean-Paul Gunsett et Albert Strickler.
Né en 1925 à Masevaux, Jean-Paul Gunsett a mené une brillante carrière d’homme de radio pour l’antenne publique alsacienne. Animateur, interprète, journaliste, il a été l’un des premiers, dès les années 1950, à lire au micro de Radio-Strasbourg des textes d’Émile Storck. Il connaît la littérature alsacienne dialectale dans toutes ses variantes locales comme il est capable aussi d’en rendre fidèlement les différentes prononciations.
Né en 1955 à Sessenheim, Albert Strickler a apporté à ces traductions son sens aigu de la langue et sa connaissance intime du paysage alsacien. C’est grâce à lui qu’a pu être mis au point un ensemble cohérent et représentatif de 61 poèmes liés à une thématique de la nature.
Le Cercle Émile Storck a recueilli quelques rares traductions antérieures. Deux sont dues à Roger Kiehl, journaliste de presse écrite et auteur d’évocations littéraires pour la radio. Deux autres ont été réalisées par Edgar Zeidler, poète, linguiste et l’un des fondateurs de la Charte de la graphie harmonisée des parlers alsaciens. Une dernière a été effectuée par Daniel Muringer, musicien, compositeur et créateur du groupe Géranium, qui a mis en musique et traduit quatorze poèmes d’Émile Storck.
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DISCOURS DE RÉCEPTION DE LA BOURSE DE TRADUCTION NATHAN KATZ PRONONCÉ PAR RICHARD LEDERMANN, PRÉSIDENT DU CERCLE ÉMILE STORCK, LE 22 MARS 2013 AU MUNSTERHOF À STRASBOURG
Émile Storck naît le 22 novembre 1899 à Guebwiller dans la ville basse, ìn d’r Understàdt. Et y décède le 9 novembre 1973 dans la ville haute, ìn d’r Ewerstàdt, dans la maison que son père avait acquise à l’angle des rues Madame Adolphe et du Vieil Armand juste en dessous du Lycée qui porte aujourd’hui le nom du prix Nobel de physique Alfred Kastler lui aussi enfant de l’ancienne cité des Princes Abbés de Murbach. Alfred et Émile son aîné de trois ans se sont probablement côtoyés dans l’enceinte de ce qui était alors le Gymnasium.
Septième d’une fratrie de dix enfants, et deuxième garçon, il portera selon les coutumes d’alors le prénom de son père, contremaître chez Grün, bis Grians, une usine métallurgique. Les capitaines d’industrie avaient pris la place des Chanoines.
Sa mère, Mathilde Million, de Labaroche dans le pays welsche, parlait le français, elle avait bénéficié de l’enseignement en français d’usage dans le Reichsland pour les quarante sept communes francophones de la province d’empire. Le français faisait partie du quotidien des enfants, comme l’écrit Jean-Paul Sorg : « Il y avait là un élément de bilinguisme et d’hétérogénéité culturelle… »
Émile grandit dans cette cité ouvrière de treize mille habitants, où la vie était rythmée par les sirènes de la vingtaine d’établissements industriels annonçant les débuts et les fins de journée de travail sous un ciel parfois opacifié par la fumée d’autant de cheminées dans ce « petit Mulhouse des Vosges ».
En 1914 il intègre la Präparandenschule (école préparatoire) de Colmar, puis en 1916 Lehrerseminar (école de formation des instituteurs).
De 1914 à 1918 il est mobilisé dans l’armée du Kaiser : Berlin, la Somme, accusé d’insubordination, il refuse de tirer sur les français, traduit devant la cour martiale, incarcéré à Cologne, il sera libéré par les troupes américaines.
Retour au pays en 1919, devenu instituteur français il enseigne dans sa ville natale, à Buhl et dans les villages de la plaine d’Alsace jusqu’en 1928, cette année là il devient professeur des Écoles Normales et passe avec succès l’agrégation en allemand, il enseignera à Lons-le-Saulnier, Annecy, Montpellier et Digne jusqu’à la déclaration de Guerre.
De 1939 à 1940 il est mobilisé avec le grade de lieutenant.
En 1949 il quitte le Sud pour revenir définitivement dans sa ville natale, il y continue sa carrière à l’École Normale de Guebwiller jusqu’à sa retraite. Beaucoup de guebwillerois se souviennent de ce vieux monsieur portant chapeau, toujours de noir vêtu, ce qui lui conférait un air austère, austérité qui ne transparaît pas dans sa poésie. Poète alsacien, il décrit sa ville, le Florival, les chaumes, la flore et la faune notamment les lépidoptères et se remémore les paysages parfumés de la Provence, paysages qu’il a dépeint en dialecte, prouvant s’il le fallait et après avoir traduit Baudelaire et Verlaine que cette Sproch pouvait s’enrichir en puisant sa force chez les poètes.
C’était pourtant un personnage attachant et apprécié de ses anciennes élèves.
Il avait son rond de serviette dans un petit restaurant du haut de la ville, les Deux Clefs, à proximité de l’usine Schlumberger, et se retrouvait là le midi entouré d’ouvriers et d’apprentis, immanquablement il laissait son entrée à l’un de ces jeunes garçons en lui disant : « Dü hàsch’s notwantiger àss ìch ».
Souvent il passait chez son boucher et achetait une paire de gendarmes coupés en morceau Làndjager Stìckle qu’il distribuait aux chiens d’Mobs und d’Ratti qui l’attendaient sur son passage quand il regagnait sa maison sur les hauteurs.
Une ancienne maîtresse d’école se souvient : « Avec passion, il tentait de nous entraîner dans les univers de Schiller, de Goethe, de Lessing, à la suite de Tell, de Faust, de Minna… Nous étions ses élèves à l’École Normale de Guebwiller, mais nous ne connaissions pas la chance qui était la nôtre, d’être les élèves d’un écrivain dramaturge et poète lui-même, tant Émile Storck était discret quant à ses œuvres personnelles. Bien au-delà des exigences grammaticales ou syntaxiques du professeur de langue, ou de celles visant à perfectionner notre élocution et souvent relevées par « Sie zischen, Fraülein! », je dirais qu’il fut pour ses élèves « un semeur de graines de culture », une expression « clin d’œil » pour honorer, en lui, aussi le naturaliste. Je me souviens du philatéliste : en tant que correcteur du mémoire de fin d’études que j’avais consacré à la colombophilie, Émile Storck y avait inséré le timbre représentant le pigeon voyageur, porteur du dernier message du Fort de Vaux, lors de la Bataille de Verdun. Ce n’est que bien des années plus tard, que je découvris les recueils de poèmes d’Émile Storck. La petite maison qu’il habitait, rue du Vieil Armand, dans le quartier de mon enfance, rappelle qu’il fut aussi un homme qui a vécu, souffert, aimé ; mais le chemin des élèves croisait seulement celui du professeur et nous ignorions que ses pensées et émotions étaient transcendées par l’écriture… » (Maïté Frey-Schermesser, École Normale de Guebwiller 1961-1966).
Avant de terminer, donnons-lui la parole, il a su, mieux que personne parler de lui en nous laissant son autoportrait à la dernière page du recueil Melodie uf der Panfleet. Il a intitulé le tableau :
Ich
Ich han mich de Mensche nie vertràit.
Das isch nit immer vu mier sàlwer kumme.
Sie hàn mich vilmol fascht eso ufgnumme
wie mer e Hund ufnimmt wu gege ‘s Gscheid
vu eim sim Garte ’s Bei lipft, wie mer seit.
Do han ich mithi oi afange brumme
un han gebolle wie n’e Hund, e dumme.
Un mankmol – ich müess sage, ’s tüet mir leid –
Han ich oi wiescht gebisse, un nit immer
Der ràcht, un no han ich uf d‘ Trimmer
Glüegt vu der Meegligkeit, fir mich
un fir die Sache wieder richtig rucke.
Un will ich mich halt nie han kenne bucke
han ich mich igmürt in mi eigne Ich.